André Cayatte è un regista, scrittore, è nato il 3 febbraio 1909 a Carcassonne (Francia) ed è morto il 6 febbraio 1989 all'età di 80 anni a Parigi (Francia).
Le véritable mérite d'une critique indépendante n'est pas, selon les clichés d'usage, dans le refus des compromissions avantageuses: il y a belle lurette qu'on ne glisse plus d'enveloppes sous les serviettes et le plus favorable des articles ne s'échangerait même pas contre la vertu d'une starlette. Non, en vérité, le critique n'a que bien peu d'efforts à faire pour être honnête. La tentation est ailleurs; juger les œuvres sur le mérite de leurs intentions, la noblesse de leur ambition ou la bêtise de leurs détracteurs, alors qu'il faut bien, en dernière analyse, les rapporter aux seuls principes esthétiques qu'elles mettent en cause. Si peu de goût que j'aie à faire des réserves sérieuses sur une œuvre par bien des côtés estimable et sur un réalisateur intelligent et courageux, il me faut bien marquer pourtant un certain désaccord avec les films d'André Cayatte.
L'auteur d'Avant le déluge introduit dans le cinéma français un nouveau type de film social qui s'est imposé avec une telle vigueur qu'il a suscité, sous des formes plus ou moins atténuées ou adroites, de multiples imitations. Il n'est pas douteux que Justice est faite et Nous sommes tous des assassins ont infléchi le cours de la production française et qu'on en trouve les échos par exemple dans L'Esclave, Le Guérisseur ou La Rage au corps, pour ne prendre que les plus honorables des films influencés. Dans le même temps se développait la tendance que nous pourrions appeler «Adorables Créatures », et qui ne sera pas moins caractéristique des trois dernières années.
Je vois bien que le paradoxe serait facile qui mettrait dans le même sac le «courage social» d'André Cayatte et l'aimable cynisme de Christian-Jaque et consorts, Charles Spaak nous fournissant la ficelle. Nous ne nous y refusons pas seulement pour des raisons morales et parce que l'expérience a suffisamment prouvé de quels côtés étaient les risques, mais aussi très réellement dans l'intérêt du cinéma. D y a beaucoup à dire contre le principe des films de Cayatte et nous ne nous en priverons pas tout à l'heure, mais seulement après leur avoir reconnu des qualités qu'il est trop facile d'ignorer en donnant a priori une définition restrictive de la mise en scène. Le fond et la forme, la morale et l'art ne sont pas aussi dissociables ici que le genre du film incite à le croire. Si Avant le déluge a soulevé tant de haines, provoqué de telles indignations, s'il entretient encore de si sournoises manœuvres de la part des pharisiens, on aurait tort de croire qu'il ne le doit qu'à ses incidences sociales, morales ou politiques, en tant que telles. Celles-ci ne soulèvent tant d'objections qu'en raison de l'efficacité exceptionnelle de la mise en scène. Ce film bouleverse, il secoue le spectateur, le plonge dans un malaise violent et insolite. L'indifférence est impossible. Que Buñuel ait aimé Avant le déluge alors qu'apparemment rien dans le film ne prête aux cheminements secrets du rêve, n'est point si étonnant. Je doute de me faire l'interprète de la critique surréaliste en défendant Cayatte de ce point de vue; il me semble pourtant que c'est son plus solide alibi; je veux dire que je distingue dans Avant le déluge comme dans Nous sommes tous des assassins je ne sais quelle atrocité logique, quelle cruauté par l'abstraction, quel terrorisme dans l'enchaînement et l'évidence intellectuelle des faits qui confèrent à l'œuvre, si peu qu'on cligne des yeux pour en estomper les détails, les propriétés traumatisantes du cauchemar. Cayatte a transposé en images et sous caution de réalisme la rhétorique juridique. Mais, nous le verrons, les faits, les hommes et les événements ne sont pas des idées. En les articulant comme telles, Cayatte décale le réel, lui substitue un univers exclusivement logique peuplé d'êtres à notre image, mais aussi radicalement autres, car sans ambiguïté ; un univers cependant irréfutable dont l'évidence physique enrobe une organisation logique où l'esprit du spectateur se prend au piège sans rémission. De ce point de vue, Avant le déluge est supérieur à Nous sommes tous des assassins. Ce dernier était convaincant; on en sortait horrifié et persuadé de l'absurde monstruosité de la peine de mort. En cette certitude, la conscience secouée du spectateur trouvait enfin une manière de repos. Mais Avant le déluge ne nous offre même pas cet ultime refuge. Sa logique est ouverte comme le pas d'une vis sans fin. Ces adolescents sont innocents, c'est donc que ces parents sont coupables, mais chacun d'eux incarnant un mode différent d'éducation, et le maximum de bonne volonté paternelle ou maternelle représentant du reste une variété sociale différente, il s'ensuit que leurs culpabilités sont non seulement inconscientes mais contradictoires et que, de quelque façon qu'on s'y prenne, on est coupable d'être parent. La force de ce film organisé pour prouver est de ne rien prouver du tout, de nous abandonner en fin de compte dans l'enfer de sa logique, terrifiés par les cercles qu'il nous laisse encore entrevoir. Il y a peut-être du paradoxe dans mon argumentation, j'admets que je la pousse un peu trop loin. Avant le déluge n'est point un monument de délire logique, mais je tiens que je suis dans le vrai en cherchant ses véritables qualités cinématographiques dans une certaine incarnation de la rhétorique juridique. Incarnation contre nature et dont l'incontestable efficacité provient du malaise où nous plonge la contradiction interne entre la logique du discours et l'illégitimité de sa réalisation concrète.
Je suppose bien qu'André Cayatte n'a que faire d'être ainsi défendu. Je voudrais cependant qu'il ne croie pas que je me moque ni que j'apporte de l'eau au moulin des adversaires de son film (j'entends de ceux qui invoquent les raisons morales), d'abord parce que les députés M.R.P. ou les secrétaires de mairie ne comprendront rien à mes raisons, mais surtout parce que même après ce que j'ai dit, je crois à l'utilité de ses films. Leur argumentation, comme toute argumentation, n'est pas indiscutable, mais leur solidité purement intellectuelle importe moins en l'occurrence que l'efficacité de la forme qui leur est donnée. Cayatte provoque dans la masse euphorique du public imbibé de cinéma un ébranlement, dont la nouveauté seule mériterait déjà considération. Entre le film-histoire (purement dramatique ou romanesque) et le film-propagande (entendu dans le bon sens: disons du style Potemkine) fondés en définitive tous deux sur l'identification du spectateur avec le héros (dans les deux acceptions du mot), c'est-à-dire encore sur la passivité intellectuelle du spectateur, Cayatte introduit un phénomène assez neuf; il justifie son film par la mise en mouvement chez le spectateur des mécanismes du raisonnement. Ce ne sont pas seulement des films à idée, ou à thèse, la chose ne serait pas nouvelle, mais une assez paradoxale entreprise où les mécanismes psychologiques habituels au cinéma sont en quelque sorte retournés contre eux-mêmes, refluent vers le spectateur pour mettre peu à peu en branle ses facultés de raisonnement en synchronisme avec le scénario et la mise en scène. Eisenstein se servait de l'image et du montage pour provoquer le sentiment et du sentiment pour faire admettre l'idée. De ce type de films on peut sortir enthousiaste et convaincu, c'est-à-dire dans un état tout contraire à l'inquiétude intellectuelle où nous laisse Cayatte. A la fin d'un film traditionnel, nous nous sentons pendant un temps plus ou moins long vaguement habités par les personnages: l'univers du film est en nous ou nous sommes en lui; c'est un état à la fois passif et passionnel. En quittant Avant le déluge, le plus bête des spectateurs est devenu, de force, sinon plus intelligent, du moins plus cartésien. Le film ayant lancé en chacun le volant du raisonnement, le mouvement de sa masse intellectuelle, progressivement amorti, continue quelque temps encore sur sa lancée à moudre le grain de la réalité.
Je ne vois pas pourquoi ce résultat ne serait pas tenu pour un effet de l'art. Certes, la mise en scène de Cayatte ne présente que peu des qualités que nous apprécions en général: elle manque de sensibilité (et pour cause), parfois de goût, les acteurs y sont rarement bien dirigés, mais il faut bien qu'elle en ait d'autres, parmi lesquelles je distingue au moins la force et la netteté, car sinon où le film prendrait-il cette efficacité? On peut le déduire aussi du fait que les imitateurs de M. Cayatte, pour être parfois plus adroits, sont toujours bien moins convaincants.
Et pourtant? Et pourtant il faut bien d'une certaine façon dénoncer ce cinéma-là (en même temps que le défendre contre le gros de ses ennemis) pour le malentendu qu'il introduit dans le spectacle cinématographique. Cayatte a inventé un genre, mais c'est un genre faux ou plus exactement équivoque, et qui trahit à la fois le réalisme du cinéma et ses pouvoirs d'abstraction dialectiquement solidaires.
J'entends bien sa défense et ne reste pas insensible à l'étonnement peiné d'André Cayatte de ne point nous voir totalement de son côté. Je m'en suis étonné moi-même jusqu'à confondre un moment la chaleur de mon indignation contre la sottise ou l'hypocrisie de ses ennemis, avec une adhésion esthétique. Le recul et la réflexion, une seconde vision du film aussi, ne me le permettent plus. Et il me faut bien avouer à Cayatte que ses arguments me confirment plutôt dans ma réserve.
J'écarte d'abord le plus immédiat. A Cannes, Cayatte et Spaak se sont employés à réfuter une critique stéréotypée selon laquelle Avant le déluge serait un «film à thèse» et «l'œuvre d'un avocat». «Bien sûr, dit-il, j'ai plaidé, mais j'ai surtout été journaliste et j'ai même conduit des locomotives, pourquoi ne ferais-je pas aussi bien des films de chauffeur de locomotives? Mais parce que Justice est faite représentait un procès, on a découvert une fois pour toutes que je faisais des films d'avocat construits en plaidoirie et démontrant une thèse.» Si l'on doutait qu'André Cayatte fût demeuré avocat, il pourrait suffire de l'entendre défendre ses films. Mais sa plaidoirie a le même point faible que son œuvre: l'argumentation en est trop convaincante pour être juste. «Je vois, dit-il, où est mon erreur, j'ai eu le ton, pour raconter une histoire, de prendre l'alibi d'un procès. C'était un moyen de récit commode évitant les redites. Obnubilée par nos antécédents, la critique n'a voulu y voir une fou de plus qu'une machination d'avocat, elle a cru que mon propos était d'acquitter les enfants pour livrer les parents au public-jury. Mais j'ai enlevé le commentaire-off'quipréludait aux flashes-back et pouvait laisser croire à un esprit prévenu que je jugeais quelqu'un. Maintenant il n'y a plus qu'une histoire, rien qu'une histoire, qu'on ne saurait identifier au procès qui lui sert de truchement sans faire preuve de mauvaise foi. » Je ne suis pas le seul à avoir revu le film dans la nouvelle version sans être sensible à l'importance de ces suppressions. Mais c'est que Cayatte croit, ou feint de croire, que son film n'est processif qu'à cause du procès. Qu'il mette ou non les parents explicitement en accusation n'est pas le fond de l'affaire, car c'est la structure intime de son scénario à tous les moments de l'action qui est en cause. Ce qui caractérise Avant le déluge aussi bien que les deux films antérieurs, en dépit des distinctions que Cayatte veut opérer, c'est que les personnages et leurs actes y sont exhaustivement déterminés par des mobiles clairs et distincts quant à la forme, et sociaux quant au contenu. Les tiers et leur comportement sont la résultante d'un quadrilatère des forces dont la branche longue serait l'époque, la société, le milieu, la conjoncture historique, et la branche courte le mode d'éducation familial. Mais les parents eux-mêmes, qui sont la seule incarnation personnelle de cette éducation, que pourraient-ils être d'autre que la résultante de l'époque, de leur milieu et de leur propre éducation? Et ainsi de suite à l'infini comme sur une étiquette semblable qui elle-même... On songe aussi à ces pendules modernes à cadran et boîtier de verre où la lecture de l'heure importe moins que le spectacle du mouvement d'horlogerie. En dépit des subtiles distinctions de Cayatte, je ne vois de différence entre un «film à thèse» comme Justice est faite, une «thèse filmée» telle que Nous sommes tous des assassins et une «histoire» comme Avant le déluge, que le fait qu'on ait enlevé les aiguilles de la dernière pendule. Mais qu'elle n'indique plus l'heure ne change rien au mécanisme: il s'agit toujours de ramener le réel à une organisation intelligible et sans mystère, animée par le ressort de la logique et régularisée par le balancier du pour et du contre.
L'argument qui m'a le plus troublé dans la défense de Cayatte (encore qu'il le néglige aujourd'hui pour Avant le déluge), c'est que Nous sommes tous des assassins étant une «thèse filmée», une critique revendiquant pour le cinéma la nouveauté et la liberté formelle d'expression devrait être pour cet élargissement des modes de récit traditionnels. Il est vrai que nous fîmes nôtre jadis le mot de Feyder sur la possibilité de mettre en film le Discours de la Méthode et que les films de Cayatte sont éminemment cartésiens. Mais de quoi s'agit-il? De raisonner en cinéma? D'enchaîner les idées abstraites non plus à partir des mots mais de cette réplique irréfutable du réel que sont les images animées? Nous savons que ce propos est légitime et réalisable, il est en principe celui de nombreux films de montage. La querelle que nous faisons à André Cayatte ne porte pas sur ses buts mais sur ses moyens. En construisant un film comme une histoire, il s'engage implicitement envers le spectateur à respecter les lois de la réalité romanesque. Ces personnages existent, nous devons y croire, comme à autrui. Or ce qui distingue le réel de l'abstraction, l'événement de l'idée, le personnage vraisemblable d'une simple équation psychologique, c'est la frange de mystère et d'ambiguïté qui résiste à toute analyse. Il n'est pas de héros de roman digne de ce nom qui ne soit d'une certaine manière plus que ce qu'il est. Mais étant donné le propos de Cayatte et Spaak, il leur faut au contraire une réalité sans reste, exactement divisible par les idées premières dont elle n'est que l'alibi. Encore une fois, il est légitime et même recommandé à l'écran d'utiliser le réalisme au bénéfice de l'idée pure, mais à condition de briser préalablement la réalité et d'en sélectionner les fragments. Ainsi par exemple des fameux montages Pourquoi nous combattons: un plan d'actualités représentant des éléments de troupes alliées progressant de gauche à droite, associé à un texte approprié significatif d'un assaut triomphant, quelles qu'aient été les circonstances réelles de la prise de vue. C'est que l'abstraction résidait en l'occurrence dans le montage et le rapport de l'image au texte. En d'autres termes, l'abstraction n'est légitime au cinéma que dans les modes de récits qui la désignent comme telle. En revendiquant l'innocence de l'«histoire», Cayatte se condamne lui-même à une contradiction interne qui est aussi, je le reconnais, à la base de l'efficacité de ses films et, dans une grande mesure, de leur charme paradoxal. A une époque où la critique se plaît à faire de la description phénoménologique un critère de la qualité cinématographique, André Cayatte nous propose un univers juridique et mécaniste peuplé d'automates. Nous attendons la révolte des robots.
Da Cahiers du cinéma, n° 36, juin 1954